Compil’ Veille juridique 2019

Droit syndical

Syndicat - Intérêt à agir

Intérêt à agir d’un syndicat devant le juge.

Dans le secteur privé, selon les principes de la procédure civile, seule la victime directe d'un préjudice peut agir en justice pour en obtenir réparation. Ainsi, lorsque seul est en jeu l'intérêt individuel d'un travailleur, syndiqué ou non, le syndicat ne peut se substituer à lui pour engager un procès contre l'auteur du fait ayant causé un préjudice au salarié. Seul le travailleur concerné pourra intenter le procès. L’article L. 2132-3 du code du travail dispose que « les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent ». Que recouvre cette notion « d’intérêt collectif » ? La défense d’un intérêt collectif n’est pas la défense de la somme d’intérêts individuels, confusion condamnée par le juge. Les syndicats reçoivent la qualité pour agir au niveau de l’entité collective et non des individualités qui le composent.

Dans la fonction publique, l'alinéa 2 de l’article 8 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 énonce que les organisations syndicales « peuvent se pourvoir devant les juridictions compétentes contre les actes réglementaires concernant le statut du personnel et contre les décisions individuelles portant atteinte aux intérêts collectifs des fonctionnaires ». S’agissant des décisions individuelles et par dérogation au principe selon lequel « Nul ne plaide par procureur », les syndicats sont ainsi uniquement recevables à contester seuls les mesures individuelles portant atteinte à l'intérêt collectif des fonctionnaires. En ce domaine, il est classique de distinguer, entre les mesures individuelles dites « positives » et les mesures individuelles dites « négatives ». Les syndicats sont ainsi recevables à agir seuls à l’encontre des décisions individuelles positives telles que notamment des décisions de nomination et de promotions de fonctionnaires, ou encore à l’encontre de la liste des candidats admis à un concours (Conseil d’Etat, 10 juill. 1996, CFDT interco Bouches-du-Rhône). En revanche, les syndicats ne peuvent agir seuls à l’encontre de mesures individuelles négatives c’est-à-dire défavorables à leurs destinataires. (Conseil d'Etat, 23 juillet 2014, Fédération des syndicats de fonctionnaires). Un syndicat de fonctionnaires, s'il est recevable à intervenir, à l'appui d'une demande d'annulation d'une décision individuelle négative concernant un fonctionnaire, n'a pas qualité pour en solliciter seul l'annulation, et ce, quand bien même le fonctionnaire serait le représentant élu de ce syndicat. Cette position de principe résulte d’une jurisprudence constante (Conseil d’Etat, 13 décembre 1991, n° 74153 et n° 80709 ; Conseil d’Etat, 10 décembre 1997, n° 158064).

Enfin, si en principe les syndicats de fonctionnaires n'ont pas d'intérêt à agir contre les mesures « relatives à l'organisation du service » (Conseil d’Etat, 26 oct. 1956), il existe néanmoins certaines exceptions, notamment s’agissant de mesures portant atteintes aux avantages et garanties offertes par le statut général ou les statuts particuliers. En l’espèce, une décision de mutation d’office avait été notifiée à un agent titulaire. La fédération des syndicats de fonctionnaires, dont cet agent était le représentant élu, avait sollicité seule devant le Tribunal administratif l’annulation de la décision de sanction. A cette occasion et rejetant le pourvoi, la Haute Juridiction administrative a rappelé que si la fédération des syndicats des fonctionnaires « est recevable à intervenir, le cas échéant, à l'appui d'une demande d'annulation d'une telle décision présentée devant le juge administratif par le fonctionnaire intéressé », elle « n'a pas qualité pour en solliciter elle-même l'annulation, alors même que l’intéressé serait le représentant élu de cette fédération ». Il est vrai qu’il n’est pas sérieusement discutable qu’une décision de mutation d’office, laquelle constitue une sanction disciplinaire, constitue une « décision individuelle négative ». Pour autant, a minima, le syndicat demandeur aurait pu tenter de justifier la recevabilité de son recours en démontrant que la décision de mutation d’office d’un représentant élu d’une fédération syndicale était susceptible d’être analysée comme « une décision individuelle portant atteinte aux intérêts collectifs des fonctionnaires » au sens de l'alinéa 2 de l’article 8 de la loi du 13 juillet 1983 ou « portant atteinte aux droits et prérogatives statutaires des agents ». Une telle position pouvait théoriquement s’envisager dès lors, en premier lieu, que la liberté syndicale et son exercice effectif constitue des droits et garanties statutaires ayant, par essence, vocation à la défense d’intérêts collectifs. La mutation d’office du représentant élu d’une fédération syndicale aurait pu, selon une acception moins rigoriste, s’analyser comme une décision individuelle portant atteinte aux intérêts collectifs des fonctionnaires, puisqu’évinçant le représentant syndical que ces derniers s’étaient eux-mêmes choisi pour la défense desdits intérêts collectifs. Néanmoins, le Conseil d’Etat a purement et simplement rejeté la requête comme « manifestement irrecevable ». Par cette décision, le juge a donc une nouvelle fois validé la distinction entre mesures individuelles positives et mesures individuelles négatives. Surtout, cette décision rappelle que l’intérêt à agir des syndicats à l’encontre des décisions individuelles, en ce qu’il constitue une exception au principe « nul ne plaide par procureur », se doit d’être interprété strictement.

Décharge d’activité

Les agents affectés dans un service placé sous l’autorité d’un autre ministère ou mis à sa disposition restent bénéficiaires de décharges d'activité syndicales du département ministériel au comité technique ministériel duquel ils sont électeurs.

Un syndicat a demandé au ministre de l'agriculture une décharge d’activité de services au bénéfice d’une de ses membres, fonctionnaire d'un corps à caractère interministériel dont la gestion est assurée par ce ministère, pour lui permettre d'exercer le mandat syndical dont elle est titulaire. Un refus lui a été opposé, au motif que l'intéressée était affectée dans un service relevant du Premier ministre et était de surcroît rémunérée sur un programme budgétaire du ministère de l'environnement. Ce dernier n’ayant pas répondu à sa demande, le syndicat a formé un recours pour excès de pouvoir devant le Tribunal administratif de Paris à l’encontre des deux décisions de refus des ministres. Le Conseil d'Etat, saisi en cassation, rappelle, dans un premier temps, que « les décharges d’activité de service constituent l’une des modalités d’exercice de la liberté syndicale dans la fonction publique, dans les conditions définies par les dispositions de l’article 16 du décret du 28 mai 1982 ». Dans un second temps, le juge précise les modalités de détermination du crédit de temps syndical : « Le crédit de temps syndical est déterminé, au niveau de chaque département ministériel, en fonction du nombre d'électeurs inscrits sur les listes électorales pour l'élection au comité technique ministériel, puis réparti, en fonction de leurs résultats à cette élection, entre les organisations syndicales représentées au sein de ce comité ou ayant présenté des candidats. Chacune de ces organisations syndicales désigne librement parmi ses représentants les bénéficiaires de sa part du crédit de temps syndical. Elle communique au ministre en charge du département ministériel ou au chef de service intéressé la liste nominative des bénéficiaires des crédits sollicités sous forme de décharges d'activité de service. Ces bénéficiaires sont des agents de ce département ministériel et à ce titre électeurs au comité technique ministériel, quand bien même ils seraient affectés dans un service placé sous l'autorité d'un autre ministre ou mis à sa disposition. Dans ce cas, l'autorité compétente recueille l'accord de cet autre ministre ou du chef du service où est affecté l'agent, lequel se prononce au regard de la compatibilité de la décharge sollicitée avec la bonne marche de ce service. » En l’espèce, le Conseil d’Etat déduit que le ministre de l’agriculture est bien compétent pour statuer sur la demande de décharge d’activité de service demandée par l’agent en sa qualité d’électrice au comité technique ministériel, quand bien même celle-ci était affectée dans un service du Premier ministre et rémunérée par le ministre de l’environnement. Conseil d’Etat, 5 avril 2019, n° 410956, Syndicat SP-agri CFDT

L’avancement de grade du fonctionnaire en décharge totale de service pour activité syndicale : « de droit » …mais sous réserve.

Un directeur territorial bénéficiait depuis une quinzaine d’année d’une décharge totale d’activité pour l’exercice d’un mandat syndical. Il sollicite, sans succès, son inscription sur le tableau d’avancement au grade d’attaché hors classe. Il demande au juge l’annulation de l’arrêté portant tableau d’avancement, sur lequel il n’a pas été inscrit. Le Tribunal administratif (TA) rejette le recours en précisant que si les années passées en décharge totale d’activité pour l’exercice d’un mandat syndical doivent être prises en compte comme des années de service dans le cadre des procédures d’avancement de grade, l’agent doit satisfaire aux autres conditions posées par le statut particulier dont il relève, ce que le requérant, pensant bénéficier d’un « droit automatique », n’a pas mis l’administration ni le juge en mesure d’apprécier. En effet, l’article 23 bis du titre I du statut général des fonctionnaires prévoit que le fonctionnaire qui consacre la totalité de son service à une activité syndicale est inscrit « de plein droit » au tableau d’avancement de grade, «  au vu de l’ancienneté acquise dans ce grade et de celle dont justifient en moyenne les fonctionnaires titulaires du même grade relevant de la même autorité de gestion et ayant accédé, au titre du précédent tableau d’avancement et selon la même , au grade supérieur ». Cette inscription n’est cependant possible que si l’agent réunit les conditions fixées par le statut particulier de son corps ou cadre d’emplois pour bénéficier d’un avancement de grade au choix. Or pour l’accès au grade d’attaché hors classe, le statut particulier du cadre d’emplois des attachés territoriaux exige l’exercice pendant huit ans de « fonctions de direction, d’encadrement, de conduite de projet, ou d’expertise, correspondant à un niveau élevé de responsabilité. C’est ce que ne démontre pas le requérant qui pensait à tort que la seule durée de service, pour le calcul des années, suffisait à son inscription au tableau d’avancement. L’article 23 bis V du titre I prévoit la possibilité pour l’agent de faire valoir « les compétences acquises dans l’exercice d’une activité syndicale au titre des acquis de l’expérience professionnelle ». Cela aurait peut-être permis au requérant, s’il avait accepté de plier, de justifier de l’exercice de fonctions « correspondant à un niveau élevé de responsabilité ». Tribunal administratif de Paris, 5 juillet 2018, n°1607634



Autorisations spéciales d’absence

L’absence de réponse de l’administration à une demande d’autorisation spéciale d’absence (ASA) pour réunion syndicale ne peut constituer une autorisation implicite de participation.

Un professeur avait demandé à bénéficier d’une ASA afin de participer à une réunion de l’organisme directeur du syndicat dont il était membre. Malgré l’absence de réponse de l’administration, le professeur y avait participé. L’administration a procédé à une retenue d’un trentième de son traitement pour service non fait. Le tribunal administratif de Lille a annulé la mesure de retenue au motif que l’agent aurait disposé d’une autorisation implicite d’absence pour se rendre à la réunion syndicale. La cour administrative d’appel (CAA) de Douai a annulé ce jugement et a rejeté la demande du requérant. Elle précise que l’article 13 du décret n° 82-447 du 28 mai 1982 (relatif à l’exercice du droit syndical dans la fonction publique), prévoit explicitement que des ASA puissent être accordées aux représentants syndicaux mandatés par les statuts de leur syndicat pour participer à certaines réunions syndicales, « sous réserve des nécessités du service ». Le refus d’autorisation dans ce cas doit être motivé par l’administration. La CAA en a déduit que l’absence de réponse de l’administration en l’espèce était fondée sur les dispositions de l’article 13 du décret du 28 mai 1982 et non sur les dispositions de l’article 15 de ce même décret et ne pouvait donc constituer une autorisation implicite de participation. Les dispositions de l’article 15 prévoient en effet la délivrance systématique d’une ASA pour les réunions des diverses instances de concertation ou organismes énumérés par ce texte, sur convocation de l’administration.

Il faut préciser que si l’article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations a posé le principe selon lequel l’absence de réponse de l’administration à une demande d’un usager vaut décision implicite d’acceptation au terme de deux mois, le législateur en a toutefois limité le champ d’application notamment dans les relations entre l'administration et ses agents (5° de l’article L. 231-4 du code des relations entre le public et l’administration).

Ainsi, les demandes présentées par les agents qui ne reçoivent pas de réponse font donc naître des décisions implicites de rejet (Conseil d’Etat, 2 juillet 2012, n° 355871) hormis dans les hypothèses où un texte spécial prévoit un régime implicite d’acceptation, ce qui n’est pas le cas pour l’instruction des demandes d’ASA présentées sur le fondement de l’article 13 du décret du 28 mai 1982. C.A.A. Douai, 29 mai 2019, n° 18DA02222