Compil’ Veille juridique 2019

Droits et obligations

Principes généraux – Enseignement scolaire - Laïcité

Les personnes qui, à l’intérieur des locaux scolaires, participent à des activités assimilables à celles des personnels enseignants, sont astreintes aux mêmes exigences de neutralité.

Le règlement intérieur d’une école primaire imposait, aux parents d’élèves qui participaient à divers ateliers en classe, la neutralité en prohibant le port de tout signe ostentatoire manifestant une appartenance religieuse ou politique. Deux parents d’élèves avaient demandé à la rectrice d’intervenir pour mettre fin à cette pratique, mais celle-ci avait maintenu la demande faite aux parents de ne pas arborer de signes manifestant ostensiblement leur appartenance religieuse.

La cour administrative d’appel de Lyon saisie, a d’abord rappelé que le principe de laïcité de l’enseignement public impose que l’enseignement soit dispensé dans le respect par les programmes et par les enseignants de cette neutralité et dans le respect de la liberté de conscience des élèves. Le principe de laïcité « impose également que, quelle que soit la qualité en laquelle elles interviennent, les personnes qui, à l’intérieur des locaux scolaires, participent à des activités assimilables à celles des personnels enseignants, soient astreintes aux mêmes exigences de neutralité ». Elle a précisé que l’interdiction contestée n’avait ni pour objet ni pour effet d’édicter une interdiction générale faite aux parents arborant un signe religieux de participer à l’ensemble des activités scolaires, mais qu’elle était circonscrite à des activités se déroulant à l’intérieur des classes et dans lesquelles les parents exercent des fonctions similaires à celles des enseignants.

En 2013, le Conseil d’État avait affirmé que les parents d’élèves demeuraient des usagers du service public et n’étaient dès lors pas soumis au principe de neutralité religieuse. Il avait cependant précisé que les exigences liées au bon fonctionnement du service public de l’éducation pouvaient conduire l’autorité compétente à recommander à ceux-ci de s’abstenir de manifester leur appartenance religieuse. L’arrêt de la CAA de Lyon, qui est clairement circonscrit aux activités se déroulant à l’intérieur des classes et dans le cadre desquelles les parents exercent des fonctions similaires à celles des enseignants ne remet pas en cause l’état du droit s’agissant de l’accompagnement des sorties scolaires. C.A.A. Lyon, 23 juillet 2019, n° 17LY04351

Principe d’égalité de traitement – Pouvoir règlementaire

Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire traite de manière différente des agents appartenant à un même corps.

Un professeur agrégé, qui enseignait dans des classes préparatoires, avait demandé aux juridictions administratives la condamnation de l’État à lui verser la somme de 18 670 euros, augmentée des intérêts, au titre des heures supplémentaires qu’il soutenait avoir effectuées, au regard de son obligation réglementaire de service fixée à 9 heures et non à 8 heures comme il soutenait y avoir droit, au titre des années scolaires 2007-2008 à 2013-2014. Après avoir cité les dispositions de l’article 6 du décret n° 50-581 du 25 mai 1950 (fixation des maximums de service hebdomadaire du personnel enseignant des établissements d’enseignement du 2nd degré), la cour a jugé que la discipline qu’il enseignait n’existait pas à la date de l’édiction de ce décret et qu’elle n’y avait pas été intégrée par les modifications successives de ce décret. La cour a jugé aussi que l’intéressé n’était pas fondé à soutenir que les dispositions de l’article 6 du décret du 25 mai 1950 seraient contraires au principe d’égalité de traitement entre les agents d’un même corps dès lors qu’il se trouvait dans une situation différente de celles des professeurs de mathématiques ou de sciences physiques exerçant dans les mêmes classes préparatoires, eu égard notamment «(…) aux programmes respectifs de ces matières, aux modalités d’enseignement et aux volumes horaires différents, ainsi qu’aux programme des concours auxquels ces classes préparent (…)». En conséquence, la cour a rappelé que le principe d’égalité de traitement entre les agents d’un même corps ne fait pas obstacle à ce que les obligations de service des professeurs d’un même corps enseignant des disciplines différentes soient fixées en tenant compte de cette différence de situation. Cet arrêt fait suite à plusieurs arrêts de cours qui s’inscrivent dans la ligne de la jurisprudence administrative constante en vertu de laquelle le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire traite de manière différente des agents appartenant à un même corps si cette différence de traitement est justifiée soit par les conditions d'exercice des fonctions, soit par les nécessités du service ou l'intérêt général, et dès lors que cette différence de traitement n'est pas manifestement disproportionnée au regard des objectifs susceptibles de la justifier. C.A.A. Lyon, 5 avril 2018, n° 16LY02231

Droits et garanties – Protection

Un contrôle anormal de l’autorité hiérarchique et des critiques excessives constituent des agissements de harcèlement moral.

Le tribunal administratif relève un ensemble de faits traduisant un exercice anormal et excessif de l’autorité hiérarchique de la part du directeur général des services, accompagné de dénigrements fréquents et de retraits des délégations antérieurement accordées. Le TA rappelle le considérant de principe de la décision du Conseil d’Etat du 11 juillet 2011, n° 321225, en vertu duquel le juge pèse les éléments respectifs apportés par l’agent et par l’administration en vue d’établir ou de contester une situation de harcèlement. En l’espèce, le département s’est borné à faire état d’irrégularités de gestion mineures, au demeurant non imputables directement à l’agent. Par suite, les mesures de surveillance dont ce dernier a fait l’objet sont excessives et révèlent une situation de harcèlement. Le juge reconnaît ici une situation de harcèlement moral en se fondant sur un faisceau de faits concordants, à savoir une surveillance excessive et injustifiée, des relations dégradées, une attitude accusatrice, un retrait des délégations antérieurement accordées et des propos systématiquement dévalorisants. Le harcèlement étant constitué, l’intéressé se voit indemnisé au titre du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d’existence. Tribunal administratif de Dijon, 3 mai 2018, n°1600632

Harcèlement moral : la difficulté particulière de la mission confiée au chef de service peut être prise en compte.

Un professeur affecté au sein d’un lycée signale des faits de harcèlement moral de la part du directeur adjoint de l’établissement. Il sollicite le bénéfice de la protection fonctionnelle, qui lui est refusée. Il demande alors au juge la réparation du préjudice moral lié au harcèlement moral dont il estime avoir été victime et au défaut de protection de son employeur. Le TA rejette la requête en jugeant que le climat anxiogène existant au sein de l’établissement était moins lié à la manière de servir du directeur adjoint qu’à la difficulté intrinsèque de sa mission à savoir la réorganisation du fonctionnement général du lycée. En effet le harcèlement moral répond d’abord à une logique individuelle qui suppose l’existence de faits commis précisément au détriment de l’agent qui en est victime : il n’y a pas de harcèlement moral « de service ». Aussi sa caractérisation reste-t-elle des plus incertaines lorsque, comme cela semble le cas en l’espèce, le chef de service qui fait un usage inadéquat de son pouvoir hiérarchique ne le fait pas au détriment d’un agent identifié mais de l’ensemble des agents du service dont il a la responsabilité, avec des effets qui peuvent être tout aussi néfastes. Tribunal administratif de Rennes, 29 juin 2018, n°1601268

Harcèlement sexuel et protection fonctionnelle : Accusations à l’encontre de son supérieur hiérarchique.

La requérante qui a déposé à l’encontre de son supérieur hiérarchique direct deux plaintes pour harcèlement moral puis une plainte pour harcèlement et agression sexuelle, conteste le refus de protection fonctionnelle qui lui a été opposé par le centre hospitalier qui l’emploi. Elle obtient gain de cause : les faits invoqués (injures, propos et gestes déplacés, attouchements répétés pendant de longues années) regardés par le juge comme établis, caractérisent les agissements de harcèlement dont elle se dit victime, si bien que son employeur public ne pouvait pas légalement lui refuser le bénéfice de la protection fonctionnelle en dehors d’un motif d’intérêt général. Pour que la protection fonctionnelle soit accordée par l’employeur, il faut que l’intéressée apporte des éléments de preuve pertinents et que ces éléments soient caractéristiques d’agissements de harcèlement sexuel. La jurisprudence récente offre un tableau varié des moyens de preuve recevables (courriels déplacés à connotation sexuelle, des SMS envoyés aux fins d’obtenir d’une employée des relations intimes provoquant une dégradation de son état de santé, enregistrement de conversations téléphoniques transcrits par huissier de justice, témoignages sérieux, témoignage du médecin de prévention, environnement de travail ponctué de blagues salaces, propos insultants et photographies à connotation sexuelle…En revanche ne suffisent pas à rapporter la preuve du harcèlement sexuel les propres déclarations de la salariée, non étayées par un commencement de preuve, ou des accusations de « séducteur » qui ne sont corroborées par aucun élément matériel ni aucun témoignage. La définition actuelle du harcèlement sexuel ne requiert plus la répétition d’actes mais, le plus souvent, c’est tout de même la continuité d’un comportement nuisible qui est relevée. Tribunal administratif de Lille, 17 mai 2018, n°1506157

Protection fonctionnelle : la critique syndicale même virulente ne traduit pas une faute personnelle.

Durement et publiquement mis en cause par le proviseur de leur lycée pour leur façon de mener leur action syndicale, les requérants ont déposé une plainte pour atteinte à l’intimité de leur vie privée et pour diffamation ; ils ont sollicité à cet égard, sans l’obtenir, le bénéfice de la protection fonctionnelle. La Cour d’appel de Marseille a estimé que l’administration était tenue de leur accorder la protection sollicitée. Même si leur comportement, à l’origine de l’attaque, était marqué par « une virulence que n’exige pas nécessairement l’action syndicale », il correspondait « à une critique de l’organisation du service » et ne pouvait pas être regardé comme des faits constitutifs d’une faute personnelle. CAA de Marseille, 5 juin 2018, n°16MA00219

Concernant la protection fonctionnelle, les dispositions de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 établissent à la charge de l’administration une obligation de protection au profit des agents publics lorsque ceux-ci, notamment, « ont été victimes d’attaques relatives au comportement qu’ils ont eu dans l’exercice de leurs fonctions ». Il ne peut être dérogé à cette obligation que pour des motifs d’intérêt général. Le Conseil d’Etat rappelle aussi dans sa jurisprudence qu’une telle obligation se heurte au caractère personnel de la ou des fautes qui sont à l’origine de l’action à laquelle la protection est demandée.

Pas de sanction disciplinaire pour les lanceurs d’alerte.

La protection légale octroyée aux agents publics qui rendent publics des faits en cas de danger grave ou imminent fait obstacle à ce qu’une sanction disciplinaire leur soit infligée. Un supérieur hiérarchique avait prononcé à l’encontre d’un agent public la sanction d’exclusion temporaire de fonctions aux motifs qu’en rendant publiques des informations internes et en divulguant des faits constatés sur son lieu de travail, l’agent avait manqué à ses devoirs de discrétion professionnelle, de réserve et de loyauté. Le tribunal administratif, pour annuler cette décision, s’est appuyé sur les dispositions du II de l’article 8 de la loi du 9 décembre 2016 : « en cas de danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles, […] le signalement peut être rendu public. Au regard des faits (dysfonctionnements et maltraitances d’une particulière gravité menaçant la santé et l’intégrité de mineurs…), l’agent, en l’espèce, était fondé à se prévaloir de la protection légale octroyée aux agents publics qui fait obstacle à ce qu’une sanction disciplinaire lui soit infligée pour avoir révélé publiquement ces faits. Tribunal administratif de Bordeaux, 30 avril 2019, n°1704873

Droit de retrait et droit d’alerte, attention aux confusions.

Un fonctionnaire se voyant appliquer une retenue sur traitement pour avoir exercé de manière illicite son droit de retrait, demande l’annulation de cette décision, ce que les juges lui refusent. La Cour d’appel précise que même si le supérieur hiérarchique n’a pas émis de réserve sur la réalité du danger au cours de la procédure relative au traitement du droit d’alerte mis en œuvre par un membre du CHSCT, il pouvait estimer que le droit de retrait était illicite, à condition de justifier les motifs de sa décision.

Il faut bien distinguer les deux droits. Le droit de retrait permet à un agent de se retirer d’une situation de travail dont il considère qu’elle présente un danger grave et imminent pour la vie ou la santé des personnes. Le droit d’alerte permet à un membre du CHSCT d’aviser l’administration de l’existence d’un danger grave imminent afin qu’elle mène une enquête immédiate et qu’elle adopte éventuellement les mesures nécessaires. Décret du 28 mai 1982

L’exercice du droit de retrait impose préalablement ou de façon concomitante la mise en œuvre de la procédure d’alerte telle qu’elle résulte de l’article 5-6 et de l’article 5-7 du décret précité. Dans une première phase, il y a un devoir d’alerte à respecter. Si l’agent public décide de faire usage de son droit de retrait, il doit d’abord alerter immédiatement son supérieur hiérarchique.

Dans une deuxième phase, il y a la phase d’enquête. Une fois les avertissements lancés, une enquête est menée par le comité compétent pour déterminer si la situation présente un danger grave et imminent. La phase d’enquête est primordiale, elle débouche sur la constatation ou non d’un danger grave et imminent. Elle joue un rôle prépondérant sur les éventuelles sanctions encourues en cas de droit de retrait abusif. La cour d’appel reconnaît en l’espèce l’étanchéité des procédures encadrant chacun des deux droits. Même si l’administration n’a pas relevé de divergence sur la réalité du danger dans le cadre de la procédure relative au droit d’alerte, elle peut tout de même estimer que l’exercice du droit de retrait est illicite à condition de motiver sa décision. Cour administrative d’appel de Marseille, 25 janvier 2019, n°17MA00151

Cumul d’activités

Cumul d’activités, possibilité d’exercer à titre accessoire, des missions d’expertise et de consultation sous le statut d’autoentrepreneur.

Un agent contractuel de droit public, exerçant à temps plein dans un établissement public d’enseignement supérieur, a la possibilité d’exercer des missions d’expertise et de consultation en dehors des heures de service, sous le statut d’autoentrepreneur, à la condition que cette activité soit autorisée et exercée à titre accessoire, compatible avec les fonctions qui lui sont confiées et n'affecte pas leur exercice.

Compte tenu du caractère accessoire de l’activité d’expertise et de consultation envisagée par l’agent dans le cas soumis, le cumul de cette activité avec celle exercée à titre principal et à temps plein en qualité d’agent contractuel est susceptible d’être autorisé sur le fondement du IV de l’article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983 et des articles 5 et 6 du décret n° 2017-105 du 27 janvier 2017.

Plus précisément, l’article 5 de ce décret prévoit que l'agent peut être autorisé à cumuler une activité accessoire avec son activité principale, sous réserve que cette activité ne porte pas atteinte au fonctionnement normal, à l'indépendance ou à la neutralité du service ou ne mette pas l'intéressé dans une situation de prise illégale d’intérêts.

L’article 6 du même décret précise que « Expertise et consultation » sont des activités exercées à titre accessoire susceptibles d'être autorisées. Il est cependant interdit au fonctionnaire ou agent public « de donner des consultations, de procéder à des expertises ou de plaider en justice dans les litiges intéressant toute personne publique, le cas échéant devant une juridiction étrangère ou internationale, sauf si cette prestation s’exerce au profit d’une personne publique ne relevant pas du secteur concurrentiel ».

La DAJ précise dans cette note que cette activité accessoire peut être exercée sous le statut d’autoentrepreneur. Le législateur a en effet entendu, par ces dispositions, introduire une dérogation à l’interdiction de principe, posée au 1° du I de l’article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983. Pour un fonctionnaire ou agent public occupant un emploi à temps complet et exerçant ses fonctions à temps plein, il donne la possibilité d’exercer une activité entrepreneuriale sous le régime de la microentreprise ou de l’autoentrepreneuriat, et permettre ainsi l’exercice sous ce dernier régime des activités susceptibles d’être exercées à titre accessoire par un fonctionnaire, après autorisation de l’employeur public.

Le 2° de l’article 6 du décret du 27 janvier 2017 dresse la liste des activités accessoires pouvant être exercées uniquement sous le régime de l’auto-entreprenariat (services à la personne, vente de biens fabriqués personnellement par l’agent) ce qui n’exclut pas l’exercice, sous ce même régime, des activités d’expertise et de consultation. Note Direction des affaires juridiques n° 2018-049 du 19 octobre 2018

Cumul d’activités, faute de l’agent justifiant une sanction disciplinaire.

Un professeur d’EPS ayant, d’une part, créé avec d’autres associés une société commerciale sans avoir au préalable sollicité l’autorisation de l’autorité dont il relevait et d’autre part, usé de ses fonctions professionnelles afin de mettre en œuvre un projet qui favorisait ses intérêts personnels, s’est vu infliger la sanction de rétrogradation assortie de la radiation du tableau d’avancement. Il demandait l’annulation de cette sanction. Le tribunal administratif de Nice a rejeté sa requête en rappelant que si la détention par le requérant de parts sociales dans une société n’était soumise à aucune autorisation préalable, sa participation à la création de la société en tant que dirigeant devait en revanche être soumise à l’autorisation préalable de sa hiérarchie. Ce manquement constituait une faute justifiant la sanction infligée en l’espèce. Tribunal administratif de Nice, 7 juin 2019, n° 1704264